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Ce sont les signaux faibles qui sont les plus révélateurs des grandes mutations. Ils sont imperceptibles et nous ne les avons pas encore assimilés et neutralisés dans l'accoutumance fatale au monde qui s'écroule. Plutôt que d'esthétiser les manifestations du désastre au prétexte de les dénoncer, l’urgence est bien au contraire de relever le seuil de la sensibilité aux prémisses de l'inacceptable.
Depuis 2019, un nouveau type de champignon, dérivé de Pityriasis versicolor, progresse sur les corps d’individus à travers le monde. Il est facilement identifiable grâce aux tâches foncées qu’il génère sur la peau de ses hôtes et semble progresser dans des zones urbaines caractérisées par une forte pollution atmosphérique et ayant un climat humide et des températures élevées.
TRANSCRIPTION
L’affection soudaine de ce champignon sur des individus est depuis étudié par des groupes de chercheurs et spécialistes qui ont formé des centre d’études spécifiques à travers le monde pour l’étudier, dont un des premiers se trouve au Shanghai Institute of Dermatology, en Chine.
Dans ce premier épisode, Louise* raconte l’apparition puis la progression du H.I.M (Human Industrial Melanism — Mélanisme Industriel Humain en français) sur son corps, suite à son arrivée à Shanghai, en Chine, en Octobre 2019.
LOUISE : C’est l’été 2019... je vais à Marseille pour faire ma demande de Visa pour la Chine. C’est la canicule, en France, en Europe même, les villes battent leurs records de température.
J’ai jamais supporté la chaleur. Je transpire beaucoup. Et là, je transpire encore plus que d’habitude.
Depuis le début de cet été j’ai un champignon qui pousse sur ma peau. Il revient chaque année depuis que je suis ado. C’est bénin. Ça gratte pas. C’est pas contagieux. Ça fait juste des tâches décolorées sur la peau, c’est juste... visuel.
Ça se déclenche comme ça chez certains hôtes, mais personne ne comprend vraiment pourquoi. Ça s’appelle Pityriasis versicolor. Ce qui le déclenche, c’est une sorte de déséquilibre. Entre les levures qui habitent naturellement notre peau. Au début y’a juste une tâche ou deux, puis avec le temps et les bonnes conditions les tâches se multiplient. Au bout d’un certain temps il y en a tellement qu’elles s’agglomèrent ensemble, ça fait des plaques. Puis à la fin de l’été ça disparaît.
Moi, ça fait longtemps que je me suis habituée à cet organisme avec qui je partage mon corps et... qui m’avais jamais dérangé plus que ça. Dès que je suis arrivée j’ai remarqué que le champignon avait réagit au climat de Marseille. Il grossit, il se multiplie plus vite. Presque à vue d’oeil. Pour la première fois il commence à me gêner. Il recouvre tous mes bras, tout mon dos... je décide de consulter un dermatologue pour la première fois de ma vie.
La dermatologue est étonnée par l’ampleur du truc. Elle me prescrit une espèce de gel douche que je dois utiliser toutes les semaines pendant plusieurs mois et elle m’assure que ça marquera la fin de cette histoire. Elle mentionne aussi le fait que résider dans des villes où la chaleur, l’humidité et la pollution se mêlent ça n’arrange pas les choses ... Le béton l’asphalte et les briques absorbent toute la chaleur durant la journée, la nuit elles relâchent tout ça, ce qui donne pas de temps aux villes de se refroidir. La pollution atmosphérique qui se condense, et l’air chaud rejeté par les systèmes de climatisation et les machines augmentent encore plus les températures urbaines et accentuent l’humidité. En été, les villes finissent par générer leur propre micro climat qui est plus chaud et humide. Une sorte de... climat tropical, mais, créé artificiellement.
Je suit mon traitement... comme prévu, les tâches disparaissent, il reste juste une décoloration fade. Mon visa est prêt et ma peau est de nouveau normale.
MESSAGE DE SÉCURITÉ EN AVION : In accordance with relevant laws and regulations of the People’s Republic of China, the passenger cabin is a public space and we subject it to audio and video collection. Your support and cooperation is greatly appreciated. To ensure the safety of you, and all other passengers, my team members and ...
LOUISE : C’est début Octobre, je viens d’arriver à Shanghai. Ça me fait penser à ma semaine à Marseille mais en pire. Il fait vraiment chaud. Et il fait encore plus humide. Dans la chambre de mon auberge de jeunesse il fait tellement humide qu’il y a des gouttes de condensation sur le plafond... les draps on dirait qu’ils sont tout le temps trempés...
La ville est déjà dans une région où il y a un climat subtropical. Mais l’ampleur de la ville, et donc l’ampleur du béton, de l’asphalte, des briques... c’est une ville qui génère un microclimat vraiment extrême.
Les tâches sont évidemment revenues sur ma peau.
Quelques jours à peine après être arrivée, mes bras, mon dos et maintenant mon torse sont recouverts. Mais cette fois, les tâches au lieu d’être plus claires que le reste de ma peau, elles sont plus foncées. Certaines plaques sont presque gris foncé, presque noires.
Après plusieurs semaines je n’ai plus trop le choix je dois de nouveau consulter. Un ai me conseille son dermatologue, il parle anglais, il m’ausculte mais ne me prescris rien. Il me dit d’aller voir un autre spécialiste le jour même qui travaille au Shanghai Institute of Dermatology. Je m’y rends.
A l’accueil une dame me dit de la suivre. On prend un ascenseur jusqu’au 21ème étage. {Bruit d’ascenseur} Elle me dit d’attendre dans le couloir en me montrant des sièges collés contre le mur en face du bureau. À côté de moi une fille de mon âge est aussi en train d’attendre. Je l’observe. Elle est en train de regarder des vidéos sur son téléphone. Sur le dos de ses mains elle à aussi des tâches comme moi. Mais, elles sont vraiment foncées. Au niveau de ses poignets, sa peau est complètement noire.
La porte du bureau s’ouvre et le spécialiste me dit de rentrer.
Ça fait maintenant plusieurs mois que je suis suivie par l’équipe de chercheurs. On est une dizaine je crois en tout. On à tous les tâches. On fait partie des premiers à l’avoir ici.
Au début, ils m’ont littéralement comparée à un pigeon pour m’expliquer. En gros, le champignon capte les particules de pollution qui entrent dans mon corps. Le plus dangereux on m’a dit, c’est les métaux lourds. Et mon corps les transporte vers ma peau. Sur ma peau ils présentent moins de risque pour ma santé, c’est pour ça les tâches noires.
Et les pigeons, ils font pareil à ce qu’il paraît. Eux, c’est vers leurs plumes qui dirigent leurs particules. Du coup ils deviennent de plus en plus foncés. Ils ont des corps qui se sont raccordés parfaitement à la pollution qui les entoure. Et... nous apparemment on fait partie des premiers humains à faire pareil. Comme les pigeons.