Difficile pour l'école offshore de ne pas se confronter à la question du paradis. Puisque la religion ne la pose plus pour l’art aujourd’hui il nous reste peut-être la finance. L'optimisation fiscale est une sale manie qui prive les écoles, les hôpitaux et les musées d’une bonne partie de leurs subsides (un peu moins semble-t-il la police et l’armée). Les ressources de l'intelligence et de l'inventivité sont sans borne lorsqu’il s’agit de contourner l’intérêt général, et l’art paraît alors bien peu de chose face au courage de ceux qui risquent tout pour démasquer cette créativité malsaine.
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rencontre avec Antoine Deltour, école offshore, juin 2020
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[transcription brute provisoire / relecture en cours]
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Paul :
Merci à Antoine Deltour d’être là et de nous consacrer une matinée pour nous parler de Luxleaks, d’évasion fiscale, de paradis offshore et de toute sorte de choses qui concernent très directement la mondialisation, même si apparemment ça ne concerne pas immédiatement l’art, peut-être que ce n’est pas non plus sans rapport et puis merci à Mathilde d’avoir eu l’idée d’organiser cette rencontre.
Antoine, nous ne sommes pas du tout, nous, spécialistes d’économie, ni d’affaires bancaires. On a lu attentivement les uns et les autres les documents que vous nous avez envoyés, mais évidemment on risque de poser des questions un petit peu naïves parce qu’on est pas très compétents. Mais voilà, ça nous intéresse, bien entendu comme citoyens, tous, et puis peut-être aussi comme artistes puisque notre sujet de travail et de réflexion ici à Shanghai c’est la question de la mondialisation, comment ça impacte les pratiques culturelles, les pratiques créatives et la société dans son ensemble. Je pense que le nom qu’on a choisi, école Offshore, évidemment fait référence à ça, et notamment aux paradis offshore qui sont peut-être justement ce que vous avez dénoncé en révélant cette affaire énorme.
En principe tout le monde a réfléchi un peu à la question en lisant les documents, en préparant des questions, alors je ne sais pas si je vous passe la parole pour un petit mot d’introduction et si après on voit les questions que les participants ont préparées ? Sur votre expérience, sur la question des lanceurs d’alertes, sur comment ça a évolué depuis votre initiative, et puis sur le fond, sur cette question d’optimisation fiscale, et puis sur ce qu’on appelle les rescrits ( si j’ai lu et bien compris, c’était le coeur du problème que vous avez soulevé et dénoncer au Luxembourg). Alors donc bienvenue … Alors, Mathilde, peut-être un mot sur ton invitation pour introduire la séance avant qu’il y ait des questions ?
Mathilde :
Je pense que tu as bien résumé les choses, et c’est ce dont j’ai parlé à Antoine au préalable, cette question très intéressante, au milieu de la mondialisation, qui nous intéresse autant sur ce que ça dit de l’économie actuelle que sur ce que ça dit des moyens de la contourner.
Paul :
Bien alors, une précision encore pour Antoine, là on est quelques-uns autour d’une table, on est six à Shanghai, et que d’autres participants sont rentrés en France à cause de l’épidémie, et donc sont dispersés dans différents endroits en France. On est tous sur Zoom. Et vous même vous êtes sur Paris en ce moment ?
Antoine :
Je suis à Épinal, la préfecture des Vosges.
Paul :
Si ça ne vous ennuie pas de dire un petit mot d’introduction, et on passera ensuite la parole à tour de rôle…
Antoine :
Alors bonjours à tous, et merci de m’écouter aujourd’hui, j’avais préparer une présentation d’une heure, et après environ une heure de questions, je ne sais pas si ça vous convient…
Paul :
J’étais embarrassé, je ne voulais pas vous mettre au travail en vous demandant de faire un exposé, j’imagine que c’est une chose que vous avez dû faire régulièrement et que vous avez eu souvent à parler et à expliquer tout ça… Mais si vous voulez bien le faire, évidemment, ça sera très éclairant pour nous et ça sera avec plaisir. Merci beaucoup.
Antoine :
Je me lance, après je ne vais pas rentrer dans trop de détails factuels, faire un récit de tout ce qui s’est passé, et essayer d’axer sur un intérêt qui est l’offshore et la mondialisation et si jamais je jargonne trop ou je m’appesantis trop dans les détails n’hésitez pas à m’interrompre, à poser des questions en cours de route.
Alors déjà je ne suis pas conférencier, je ne suis pas expert du sujet que je vais aborder aujourd’hui, c’est pour ça que je vous ai aussi envoyé de la documentation pour que vous puissiez aller pêcher d’autres informations complémentaires, pour avoir un regard plus complet sur cette question de l’évasion fiscale, mais moi je suis juste un lanceur d’alerte rescapé. C’est-à-dire que beaucoup de lanceurs d’alertes connaissent des conséquences très graves de leur alerte, ce qui n’est pas mon cas, et on va voir un peu ce qui s’est passé dans cette affaire.
Donc je voulais commencé par présenter mon parcours, ce qui s’est passé avant l’alerte, notamment mes motivations, donc qu’elle était le problème dans les pratiques fiscales dont j’ai été le témoin, et dans un deuxième, j’aborderais quelles ont été les conséquences vis-à-vis de la fiscalité et quelles sont les perspectives aujourd’hui. Alors j’irais vite parce que c’est assez technique et ce n’est pas forcément passionnant, mais ça montre quand même bien des enjeux qui sont introduis pas la mondialisation, c’est des problèmes qui n’avaient pas lieu, qui n’existaient pas avant. Et dans un troisième temps, je présenterais les conséquences en termes de protection des lanceurs d’alertes, et quelles sont les perspectives aussi en cette matière. J’irais peut-être un peu plus vite, parce que c’est peut-être un peu plus éloigné de vos centres d’intérêt, mais c’est quand même un point qu’il faut au moins survolé.
Donc quelques mots sur mon expérience, donc en fait, j’ai fait une école de commerce, et j’ai travaillé au Luxembourg. C’était ma première expérience professionnelle, j’ai travaillé dans un cabinet d’audit. Les cabinets d’audit, ce sont des intermédiaires du secteur financier, qui ont pour principale fonction d’auditer les comptes des entreprises. Donc ce qu’on appelle auditeur, c’est certifier ces comptes, apporter une opinion, et c’est une obligation pour la plupart des grandes entreprises, notamment toutes les entreprises cotées, qui font un appel public à l’épargne, elles ont besoin de faire certifier leurs comptes, pour tout simplement afficher que les chiffres qu’elles publient sont solides et sérieux. Les cabinets d’audit, donc en fait les certificateurs indépendants, ont aussi pour particularité, en plus de ces missions d’audits, de faire du conseil. Notamment du conseil fiscal.
Donc moi c’était ma première expérience professionnelle, j’allais faire de l’audit au Luxembourg, donc je n’étais pas complètement naïf, je savais qu’en allant au Luxembourg, j’allais être confronté à la finance offshore. On sait que le Luxembourg héberge un certain nombre de structures plus ou moins opaques, qui sont là pour des raisons fiscales.
Ce que j’ai découvert progressivement et qui dépassait ce que je pouvais imaginer avant d’aller là-bas, c’est que ces pratiques étaient déjà d’une ampleur industrielle, c’est-à-dire que quasiment toutes les multinationales opérant en Europe avaient une filiale au Luxembourg, et que chacune de ces multinationales bénéficiait d’un accord fiscal, avec l’administration fiscale, permettant de ne quasiment pas payer d’impôts grâce au Luxembourg. Donc c’est ça le principe du Tax rulings, les documents qui ont été révélés dans les luxleaks, c’est une décision fiscale anticipée, un accord fiscal, par lequel la multinationale implantée au Luxembourg bénéficie d’une approbation de l’administration fiscale pour un traitement fiscal futur. Donc en soit ça n’a rien de choquant, même la France accorde des… la traduction française des tax rulings, c’est des « rescrits fiscaux », ça apporte une sécurité juridique. C’est à dire quand on a des opérations fiscales plus ou moins complexes, ça peut être rassurant pour le contribuable de savoir comment on sera taxé à l’avenir. C’est ça que propose l’administration fiscale luxembourgeoise, et c’est plutôt bien. Par contre, le problème que ça posait au Luxembourg, c’est qu’il n’y avait qu’un seul fonctionnaire des impôts qui pouvait valider les accords fiscaux de toutes les multinationales présentes, donc il avait une charge de travail colossale et il a révélé publiquement lui-même qu’il n’avait pas du tout les moyens matériels et humains d’éplucher et de vérifier la légalité des accords qu’on lui soumettait.Et donc en fait, c’était des accords de complaisances, il tamponnait à la chaîne des accords qui en fait, autorisaient une fiscalité extrêmement faible. Et c’était ça le deuxième point assez choquant, c’est qu’en fait, au fur et à mesure de mon expérience professionnelle assez courte ( je n’ai bossé que deux ans là-bas), j’ai découvert que les entités juridiques dont j’auditais les comptes avaient une fiscalité très proche de zéro. Moi les cas sur lesquels j’ai pu avoir une vision globale, c’était des cas assez simples parce que j’étais débutant, la structure luxembourgeoise permettait de ne payer que 3% d’impôts sur des millions d’euros, transférer artificiellement au Luxembourg, et donc c’était des pratiques extrêmement choquantes. Ce qu’il faut bien retenir c’est le caractère artificiel. C’est-à-dire qu’on va exploiter toutes les astuces juridiques, et comptables et fiscales, pour créer une réalité qu’on met sur le papier, qui permet de ne quasiment pas payer d’impôts, mais c’est juste un travestissement de la réalité. Concrètement, c’est des multinationales qui ont des opérations réelles. Elles ont des usines, elles ont des clients, elles produisent des marchandant en nombre, elle employant des milliers de salariés dans le monde, et en fait on va créer des mécanismes pour transférer les bénéfices, des pays où sont effectivement réalisé les bénéfices, donc des pays de production et de consommation où en général la fiscalité est plus lourde que dans les places offshores, et on va transférer artificiellement les bénéfices dans des places offshores opaques où on va minimiser cette imposition en exploitant toutes les règles possibles, et notamment toutes les failles de la fiscalité internationale.
( arrêt problème technique vidéo )
Il y a peut-être des questions déjà à ce stade ?
Paul :
J’avais une question peut-être très banale, très naïve, mais là, les opérations économiques sont faites dans un pays, et puis ensuite, c’est transféré, comme vous l’avez expliqué, par exemple au Luxembourg. Mais qu’est-ce qui autorise à transfert ces bénéfices d’un pays où on a vendu des choses, où fait un certain nombre d’activités, vers un autre pays, comme le Luxembourg ?
Antoine :
Alors il y a plusieurs mécanismes, et c’est des astuces qui sont quasiment purement comptable, l’un des mécanismes dans les documents que j’ai extraits, c’était des systèmes d’emprunts internes au groupe. Il y avait une société de financement au Luxembourg, qui recevait elle-même des fonds du groupe qui étaient traités par exemple par la tête de groupe, à un tôt faible. Une entité du groupe présente au Luxembourg, qui emprunte au groupe à un taux d’intérêt faible, et qui va prêter à la filiale qui génère des profits et qui seraient théroqiement taxé, par exemple des profits générés au Royaume-Uni, où ils seraient taxés au taux anglais, mais peu importe… et qui va prêter cet argent à un taux plus élevé, donc le différentiel de taux va faire que cette entité va générer des bénéfices et que tous ces bénéfices proviennent des taux d’intérêt facturés à la filiale anglaise et en général ces intérêts d’emprunts sont déductible de la charge fiscale, ce qui permet à la filiale de minimiser sa part d’impôts, or tout ça est uniquement une opération financière intragroupe qui permet juste de choisir où on met les profits. Ça, c’est un mécanisme, après ça peut-être par exemple de domicilier la propriété intellectuelle, notamment des brevets. Il y a un mécanisme qui s’est largement répandu, qui s’appelle les « Patents box », « boîte à brevet », qui consistent tout simplement à localiser les brevets dans un pays où la fiscalité est faible et de faire payer à toutes les filiales qui utilisent cette propriété intellectuelle des royalties, et c’est cette propriété intellectuelle peut-être extrêmement vaste. On peut considérer que relève de la propriété intellectuelle, des brevets effectivement, mais on peut aussi y mettre des logos, une marque, l’organisation d’un magasin, un concept commercial… Ça peut-être extrêmement vaste, ce qui permet à des entreprises … Ikea par exemple y a beaucoup recours, alors qu’a priori on n’imagine pas qu’Ikea soit une entreprise de haute technologie. Pourtant, ils utilisent ce système de botte à brevet pour transférer des bénéfices.
Paul :
Donc l’entreprise au Royaume-Uni semble ne pas gagner d’argent, et c’est l’entreprise au Luxembourg qui semble en gagner ?
Antoine :
C’est ça !
Paul :
D’accord, merci.
Antoine :
C’est uniquement un transfert de bénéfices. En fait, là on ne parle pas de fraude fiscale. La fraude, c’est vraiment quand on enfreint la loi pour ne pas payer d’im^pots. C’est-à-dire qu’on va cacher une fortune, on va cacher des profits pour ne pas les taxer. Là, ce n’est pas de la fraude, c’est de l’optimisation. C’est juste exploité les failles du système fiscal pour échapper à l’impôt. Et cette optimisation fiscale agressive, elle a pour conséquence, déjà une concurrence fiscale, une course vers le bas. C’set à dire que chaque état va essayer de générer de nouvelle faille dans le système fiscal international pour attirer à elles ces transferts de bénéfices. C’est-à-dire que quand le Luxembourg exploite une faille et attire plein de multinationaux avec par exemple ces systèmes de prêts intragroupes, les Pays-Bas vont être tentés de faire la même chose, et d’aller un peu plus loin dans l’innovation financière pour attirer à elles ces mêmes flux. C’est vraiment une fuite en avant qui conduit à une imposition zéro. C’est une course vers le bas.
Paul :
Je ne veux pas interrompre trop souvent, mais … Ce qui m’échappe là encore : si ça tend vers zéro, le taux d’imposition, quel est l’intérêt pour le pays d’attirer ces entreprises s’il n’en tire pas de profits ou si ça tend à diminuer vers zéro ?
Antoine :
Alors c’est une bonne question, parce que ça tend vers zéro à long terme, et là ce qui se passe, si on prend toujours l’exemple du Luxembourg, en fait le taux d’imposition n’est pas nul, il est proche de zéro. Déjà, taxer un taux infime, mais sur des montants colossaux, parce qu’on parle de milliards d’euros, ben ça représente quand même des recettes fiscales importantes, pour un pays de la taille du Luxembourg qui n’a que 500 000 habitants. Et c’est souvent ça en fait, une place offshore, c’est un pays qui a peu d’habitants, et qui quelque part vend la souveraineté de ces habitants-là, au détriment de … Enfin, c’est vraiment du commerce de la souveraineté, quelque part ce n’est pas les Luxembourgeois qui vont décider de leur droit fiscal, c’est des multinationales et des cabinets d’audit, pour attirer des investisseurs internationaux.
Et donc cette fiscalité très faible pour des montants importants suffit à collecter des recettes fiscales importantes par rapport à l’échelle du pays, et l’autre retour positif c’est aussi quelques emplois indirects, dont je faisais partie, parce que pour organiser ces flux d’argent il y a besoin de comptables, de banquiers, et toute une gamme de professionnels financiers qui organisent tout ça, et cela représente des milliers d’emplois. Et après, l’autre conséquence de ces systèmes, c’est un manque à gagner qui est colossal. C’est à dire qu’à l’échelle de l’union européenne il y a beaucoup d’évaluations, qui sont plus ou moins fragiles et qui sont extrêmement contestables et parfois divergentes, mais un chiffre qui revient souvent et qui est cité par la commission européenne, ce qui est sérieux, c’est un manque à gagner de mille milliards d’euros par an à l’échelle de l’union européenne. Pour tout de qui est évasion fiscale. Evasion fiscale c’est le terme qui regroupe ce qui est fraude et optimisation. Donc mille milliard par an, on ne parle pas d’un stock, d’une fortune par exemple cachée en Suisse, ça ça peut représenter des milliers de milliards d’Euro mais c’est un stock, là on parle de mille milliard par an, c’est un flux, c’est tous les ans c’est le montant d’impôts qu’on ne taxe pas chaque année. Donc le manque à gagner est colossal et ça a évidemment des conséquences sur les politiques publiques qu’on ne peut pas financer faute de recettes, et dans une situation de crise économique telle qu’on va la vivre dans les prochains mois c’est d’autant plus important. Et ce qui est choquant aussi dans cette pratique, c’est que c’est source d’injustice à plusieurs niveaux. Déjà dans une vision assez libérale des choses on considère que la multinationale utilise des services non marchands, par exemple Amazon a besoin de routes et de pistes d’aéroport pour livrer ses colis, c’est normal qu’elle contribue au financement de ces routes et de ces aéroports. Ça c’est la vision purement utilitariste des services publics, et on pourrait attendre au moins de ces multinationales qu’elle contribuent au moins à la part qu’elles utilisent de ces services publics, ce qui n’est pas le cas avec ces mécanismes. Après, l’injustice c’est aussi en terme de concurrence déloyale, avec des concurrents qui n’ont pas accès à ces pratiques fiscales. C’est à dire que ces montages sont relativement complexes et font appel à plusieurs juridications, et donc par nature ce n’est accessible qu’aux multinationales qui opèrent sur un marché au moins international, et quand elles sont en concurrence avec des PME nationales qui n’ont pas accès aux mêmes mécanismes complexes eh bien il y a une distorsion de concurrence qui est néfastes aux PME, et à tous les contribuables moins mobiles en fait, parce que là je parle de fiscalité des entreprises, parce que ces momntages là concerne les entreprises, mais il faut bien comprendre que la frontière entre la fiscalité des personnes physiques et des entreprises est quand même assez perméable puisqu’à partir d’un certainn niveau de fortune on loge sa fortune dans des holdings. En tous cas un partie des gens les plus fortunés sur terre leur fortune provient d’actions de leur propre entreprise, donc quelque part la distinction n’est pas si pertinente, et en fait l’avantage de ses pratiques fiscales va aux contribuables les plus mobiles que sont les multinationales et les grandes fortunes, donc pour financer les politiques publiques, car même si certains échappent à l’impôt il y a besoin de financer les hôpitaux, les écoles, les choses comme ça, cette charge fiscale est reportée sur les contribuables les moins mobiles que sont les PME et les classes populaires. J’étais déjà sensibilisé à ces problématiques avant d’arriver au Luxembourg et c’est des analyses que j’ai conforté après aussi, mais en tous cas j’ai pris conscience progressivement de ces problèmes sur place, et en tous cas c’est devenu insupportable quand j’ai vu, quand j’ai compris de manière plus globale ce qui se passait à partir des cas sur lesquels je travaillais. Des multinationales qui grâce à mon travail ne payait que 3% d’impôts ça me posait problème. Donc là il y avait une telle divergence entre ce que j’attendais, c’est à dire qu’il y avait quand même une utilité social à la certification des comptes parce qu’on a besoin d’une information financière fiable, et cette divergence entre mes attentes et l’expérience vécue, où en fait j’étais là au service d’entreprise qui étaient là pour échapper à l’impôt, eh bien ça a conduit à ma démission en fait, et il se trouve que la veille de mon dernier jour de travail j’ai accéder à un dossier qui était, par une négligence du cabinet d’audit, laissé en accès libre, en lecture libre pour tous les salariés de l’entreprise et qui contenait des centaines de tax rulings, qui étaient au Luxembourg des documents extrêmement sensibles, et donc j’ai décidé de copier ce dossier qui contenait des centaines de tax rulings mais après je vous passe toute la chronologie. J’ai essayé d’aller chercher l’expertise auprès d’ONG parce que je n’étais pas certain moi-même de bien interpréter ces documents. J’en ai parlé à la radio, sur un blog, ça n’a pas donné grand chose, donc j’ai fini par les confier à un journaliste qui travaille à Cash Investigation. Donc il y a eu un premier Cash Investigation entre 2012 sur France 2. Ces documents je les avais copiés en 2010. Et après surtout ce qui s’est passé c’est que les documents on été obtenu par l’ICIJ, qui est le consortium international de journalistes d’investigation. C’est le consortium qui a sorti les principaux scandales fiscaux de la décennie. Avant -- il y avait eu les offshores leaks, après il y a eu Panama Papers, Paradise Papers, enfin toute une palette de scandales fiscaux, et les Luxembourg Laeks, appelés LuxLeaks, faisaient partie de ces scandales fiscaux. Donc en fait c’est la révélation par ce consortium des taxes fooling que j’avais copiées au Luxembourg, ou qui étaient d’autres documents d’un autre lanceur d’alerte issu du même cabinet d’audit, Raphaël Halet, qui avait vu le Cash Investigation et qui s’est dit, tiens moi aussi j’ai des informations à partager, donc il avait sauté dans le train et ça a été complété par des documents issus d’autres cabinets d’audit, puisqu’en fait il y a quatre grands cabinets d’audit qui sont présents sur toute la planète et qui audit les comptes de quasiment toutes les multinationales côtées. C’est PricewaterhouseCoopers pour lequel je travaillais, il y avait aussi Deloitte, KPMG et Ernst & Young, et en fait les Luxleaks issus de --NG ont complété les documents par d’autres documents issus des trois autres cabinets d’audit. Donc c’est bien pour dire que le problème n’est pas un dysfonctionnement ou une fraude ponctuelle propre à un cabinet d’audit et quelques multinationales, mais le problème est bien un problème systèmique qui -- le fait que les multinationales parviennent à échapper à l’impôt en exploitant toutes les failles de la fiscalité internationale, et c’est largement permis et facilité, et même encouragé par les cabinets d’audit.
Maintenant j’en viens à une deuxième partie un peu plus courte sur les conséquences de cette alertes et les perspectives en matière fiscales. Les conséquences eh bien déjà cela a été au moins la fin, au moins ponctuelle, d’une forme d’hypocrisie. C’est à dire que ce problème révélé par les LuxLeaks des tax rulings luxembougeois était quand même un problème principalement européen, pas uniquement parce qu’il y avait des entreprises du monde entier qui était présente au Luxembourg, des entreprises américaines, indiennes, australiennes, etc., donc cela intéressait des dizaines de journalistes dans le monde entier, mais c’était quand même principalement un dysfonctionnement de l’union européenne qui n’a pas su suffisamment harmoniser ses règles fiscales, ce qui a permis une concurrence fiscale exacerbée au sein de l’union européenne et ce qui a conduit à une fiscalité d’impôt sur les sociétés même plus faible qu’ailleurs dans le monde. Tout ça c’est un problème qui avait été identifié dès le départ dès la création du marché unique. Les dirigeants savaient les problèmes causés par la création d’un marché unique sans se mettre d’accord sur les règles fiscales. mais seulement on a fermé les yeux, on savait qu’une grande part des recettes fiscales européennes étaient captées par des juridictions comme le Luxembourg, l’Irlande ou les Pays-Bas, mais on fermait un peu les yeux. Là ce qui s’est passé avec les LuxLeaks c’est que maintenant que les documents étaient sur la table on ne pouvait plus nier ces faits. Cela ne suffit pas à changer les choses, mais cette indignation très forte, le fait de voir révéler à la une de grands quotidiens, on ne peut plus nier ces faits, et l’information du public c’est en tous les cas un préalable à la correction de ces problèmes. Ça suffit pas que les gens s’indignent pour changer quelque choses, tant qu’il n’y a pas une pression de l’opinion, et donc une pression sur l’autorité politique, il n’y a aucune chance pour que ça change. D’autant plus que le contexte des LuxLeaks, c’est sorti fin 2014 et c’était les premiers jours de Jean-Claude Juncker à la présidence de la commission européenne. Jean-Claude Juncker qui a été premier ministre au Luxembourg pendant une quinzaine d’année. Donc il arrive à la tête de l’union européenne et ça fait un peu mauvais genre. Ça a mis une pression politique assez forte. Et là je ne vais pas lister tout ce qui s’est passé suite à LuxLeaks, mais en gros, il y a quand même eu une commission parlementaire au parlement européen, qui existe encore mais qui a été renommée, qui a enquêté sur les Panama Papers, qui a enquêté sur toutes les pratiques fiscales nuisibles au sein de l’union européenne. Au départ elle a été créée suite à l’indignation de ce scandale. Le petit problème c’est que la l’union européenne c’est la commission européenne qui a l’initiative des lois, des directives, et donc tout ce que produit cette commission et le parlement européen ne produit pas beaucoup d’effet en fait. Ils ont fait plusieurs rapports, certains contenant des recommandations extrêmement précises et fortes. Il y a des députés européens qui étaient très engagés et qui se sont vraiment battus pour auditionner des multinationales, mais voilà le problème c’est que c’est généralement adopté par une majorité large, y compris de droite au parlement européen, mais voilà c’est mis sur une pile et ça ne sert pas à grand chose tant que la commission européenne ne propose pas une législation à la suite. Et même quand la commission, consciente du problème, affiche une certaine volonté politique de résoudre la question ou en tous cas d’y apporter une forme de réponse, bien souvent ces initiatives sont bloquées parce qu’en matière fiscale c’est encore l’unanimité qui prévaut, c’est à dire que tant que l’ensemble des états de l’union européenne ne sont pas d’accord on arrive pas. Donc du coup il y a quand même une très forte inertie. Après, sous la pression du scandale il y a quand même eu l’adoption très rapide en quelques mois seulement de l’échange automatique d’information sur les tax rulings. C’est à dire, au temps de LuxLeaks tout ce qui se passait au Luxembourg restait au Luxembourg. les auditeurs eux-mêmes n’avaient pas l’autorisation de coopérer avec les douaniers. Il y a beaucoup de frontaliers au Luxembourg et si moi j’étais arrêté à la douane pour un contrôle ordinaire je devais immédiatement appeler un supérieur hiérarchique qui devait évaluer si je devais ou non ouvrir mon ordinateur, si je devais ou non collaborer. Et donc spontanément il ne fallait pas coopérer avec les autorités. C’est juste une illustration du niveau de paranoïa et de confidentialité, de secret, qui entourait ces documents. Et donc là ce qui a changé c’est l’échange automatique, c’est à dire que les états membres européens se sont mis d’accord pour que, quand une administration fiscale accorde un tax ruling, il est automatiquement échangé avec les autres administrations fiscales de l’union européenne, y compris celles qui peuvent potentiellement avoir un manque à gagner par cet accord. Et par ailleurs aussi la commission européenne a essayé de s’attaquer à ces tax rulings abusifs en lançant des enquêtes pour aides illégales d’états. En fait la commission européenne de Margrethe Vestager, vous avez peut-être entendu son nom, c’est elle qui a inspiré la série Borgen, et qui maintenant a un pouvoir un peu plus étendu dans la nouvelle commission européenne. C’est elle qui a lancé plusieurs enquêtes assez retentissantes sur les pratiques fiscales des multinationales, notamment celle qui a fait le plus parler c’est Apple. C’était en Irlande et cela a conduit à une condamnation à 13 milliards d’Euros donc c’est pas négligeable. Et elle a condamné plusieurs entreprises présentes au Luxembourg. Il y avait Amazon, Engie, Fiat. Il y a eu aussi des enquêtes concernant McDo et Starbucks, qui n’ont pas conduit à des condamnation. Et donc ce qui est intéressant c’est que l’angle de la commission européenne pour attaquer ces pratiques fiscales, ce qui dérange la commission c’est pas que ces entreprises payent peu d’impôts grâce au Luxembourg, c’est que le Luxembourg n’autorise pas toutes les entreprises à payer aussi peu d’impôts. C’est vraiment les règles de la concurrence, c’est à dire que pour elle il y a distorsion de concurrence lorsque l’on accorde des avantages à certaines entreprises et pas aux autres. Mais quelquepart pour la commissio européenne, si toutes les multinationales ne payaient que 5% d’impôts sur leurs bénéfices cela ne poserait aucun problème. C’est vraiment un angle juridique très particulier, et l’autre ironie aussi, c’est que quand Amazon, par exemple, est condamné, le montage fiscale d’Amazon est condamné par la commission européenne, en fait ce que condamne la commission européenne c’est l’Etat Luxembourgeois, qui a accordé un avantage fiscal indû. En fait la condamnation c’est que l’Etat Luxembourgeois est tenu de récupérer les impôts non payés par Amazon. Et quelque part est-ce que le manque à gagner était au Luxembourg et pas ailleurs ? Et là aussi il y a une forme d’ironie. Parce que c’était au Luxembourg on l’oblige à collecter des impôt sur des opérations économiques qui avaient lieu ailleurs. Il y a quelque chose d’un peu particulier. mais en tous cas c’est tout de même des réactions, on voit que les autorités ne sont pas totalement insensibles à ces problèmes.
Et maintenant les perspectives, rapidement. J’ai envoyé les documents, notamment ceux d’Attaq, qui sont assez faciles d’accès et qui sont intéressants car cela me paraît effectivement être les solutions les plus fécondes. La première c’est apporter de la transparence. Et tout simplement déjà aujourd’hui toutes les multinationales ont des systèmes d’information et notamment d’informations financières qui leur permettent de faire une consolidation de leurs comptes, c’est une obligation pour présenter leurs informations financières aux actionnaires, et donc elles ont tout à fait la capacité par ces système d’information de présenter leurs comptes de manière transparente, de dire quelles sont leurs activités économiques réelle dans chaque pays, la liste des pays où elles opèrent, quels bénéfices elles réalisent dans chaque pays, et quels montant d’impôts elles y payent et quel est par exemple leur effectif salarié dans chacun de ces pays. Et toutes ces informations malheureusement sont encore totalement opaques. C’est à dire que les seules informations publiques sont des informations consolidées au niveau mondial. Et pourtant elles ont la capacité de publier cette information. Et donc il suffirait en fait de les obliger à tout simplement lever le secret sur ces informations pour que du jour au lendemain on sache identifier que, eh bien par exemple que la grande majorité des bénéfices d’Amazon sont localisés dans une structure où elle emploie une infime partie de ses salariés, où elle réalise un chiffre d’affaire infinitésimal, et pourtant c’est là que sur le papier elle fait apparaître ses bénéfices. Donc là, du jour au lendemain on comprendrait qu’il y a un problème et qu’il faudrait le corriger. Mais tant que l’on a pas accès à ces informations il y a déjà un problème. Ça c’est ce qu’on appelle le reporting public, pays par pays, c’est à dire publier des informations localisées au pays, pour comprendre comment la multinationale s’organise dans la mondialisation pour faire apparaître, pour jouer avec les chiffres. Et après une autre option pour répondre à ces problèmes ce serait aussi une taxation unitaire. En fait la taxation unitaire, il faut bien comprendre que le problème de la fiscalité des entreprises, la fiscalité internationale des entreprises, ça vient au départ du fait que la fiscalité des entreprises a été conçu avant la mondialisation. C’est à dire que chaque entreprise taxait les entreprises présentes sur son territoire. Tant qu’il n’y a pas d’entreprise internationale il n’y a aucun problème. Je veux dire : j’ai des PME sur mon territoire, je le taxe, okay, il n’y a pas de problème. A partir du moment où on a commencé à ouvert les frontières et où la mondialisation est apparue, et notamment la libre circulation des capitaux et des marchandises, eh bien voilà, les entreprises ont des opérations internationales et c’est très facile pour elles de jouer avec les chiffres, tout ce que je viens d’expliquer, de jouer avec les flux financiers pour localiser leurs bénéfices là où ça les arrange. Et le problème c’est que le système fiscal est resté national. Donc cela veut que l’on reste dans une vision purement nationale d’opérations qui sont internationales. Donc forcément l’administration a une vision très parcellaire de ce qu’elle essaye de taxer. Elle n’a pas de vision globale, donc c’est très facile pour une multinationale d’afficher des choses parfaitement asymétriques. De dire à une administration voilà quels sont nos flux avec vous et d’afficher auprès d’une autre administration [...coupure...] de valoriser une opération d’une manière auprès de la suisse, d’une autre manière auprès d’un autre Etat. Mais une fois que les documents ont été publiés l’hypocrisie est tombée et ils ont été condamnés à payer 250 millions de francs suisses. En fait, pour résoudre ce problème de fiscalité nationale d’opérations internationales, on peut avoir recours à la taxation unitaire qui consiste à appréhender le bénéfice d’une multinationale au niveau global, donc de regarder ses comptes consolidés, voir, voilà Amazon fait tant de profit au niveau mondial, c’est à dire que c’est ça son profit taxable et après on va le répartir en fonction de clés de répartition qui ne sont pas naturelles, il faut en débattre, et le choix des clés de répartitions va influer sur si on taxe plus ou moins tel ou tel pays, mais en tous cas, ça permet d’avoir une taxation beaucoup plus transparente, et qui se joue de ces transferts artificiels de bénéfices. Et après, ce qui est important aussi, c’est de décider d’un taux minimum d’imposition. C’est-à-dire qu’actuellement il y a quand même des réformes au niveau international. L’OCBE essaie de prendre à bras le corps le problème, notamment avec le projet BEPS (Érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices), et donc ce projet, c’est le club des pays riches qui cherchent à imposer au reste du monde comment on va taxer à l’avenir les multinationales, donc c’est intéressant, il y a quand même, notamment le deuxième volet, après 2015, donc qui encore en cours de négociation là, va assez loin, mais le risque, c’est qu’à nouveau ça repose sur une coopération internationale, donc tant qu’il y a une bonne volonté des états, ça fonctionne, mais il suffit que quelques États voyous, en tous cas non coopératifs refusent de jouer le jeu, par exemple le Panama, Malte ou que sais-je, et bien l’édifice s’effondre, et ça amoindrit l’ambition de ces projets de réformes, et par exemple, il est rarement question d’un taux minimal d’imposition, parce qu’une fois qu’on s’est mis d’accord sur un cadre de concurrence fiscal à peu près apaisé, où on a réussi à harmoniser comment on taxe les multinationales dans le monde, encore faut-il, une fois allouer à chaque état une part raisonnable du profit taxable, il faut que chaque état taxe ce profit à taux minimal, parce que sinon, il suffit de dire, bon ben voilà chez moi on taxe à 2%, et c’est ce qui est en train de se passer en fait. Dans l’Union européenne, il y a même plus besoin de tellement tricher sur les bases fiscales, ce que permettaient les tax rullings, la concurrence fiscale s’est tout simplement déplacée sur le taux d’imposition. Donc chaque état membre actuellement est en train de baisser drastiquement ces taux d’imposition, et la France joue ce jeu aussi, de baisser le taux d’imposition sur les multinationales, enfin sur les sociétés, ce qui n’interrompt pas la course vers le bas dont je parlais en introduction. Pour l’instant, on est encore dans ce cadre-là. Et maintenant, j’arrête là sur la fiscalité. J’espère avoir été relativement clair, c’est pas forcément évident…
Paul :
Une question sur la fiscalité avant de passer aux lanceurs d’alertes : on reçoit ici à Shanghai régulièrement Yann Moulier-Boutang qui est économiste, et qui milite pour une taxation des flux financiers, est-ce que dans les solutions proposées par ATTAC (la transparence, la taxation unitaire…), il ne manque pas justement une réflexion sur la taxation des flux ? Parce que dans ce cas-là, chaque pays taxe les flux, et il n’y a plus besoin nécessairement d’une coopération ou d’une harmonisation, puisque par exemple, quand Amazon transfert ses bénéfices d’une entité à une autre, il y a un flux, et c’est à ce moment-là que le flux pourrait être taxé. Enfin je ne sais pas si ça répond à la question, mais je voulais avoir votre avis là dessus, sur cette idée de taxer les flux financiers, plutôt que les bénéfices de manière conventionnelle.
Antoine :
Alors c’est une très bonne question, et un très bon sujet aussi … Alors ATTAC n’est pas du tout opposé à la taxation des flux : les deux T d’ATTAC, c’est « TAX TOBIN », qu’il est l’idée même de cette taxe sur les flux financiers. Après l’un n’empêche pas l’autre, c’est-à-dire que la taxation sur les flux financiers a pour principal mérite de ralentir ces flux financiers, notamment les flux boursiers, sur les marchés financiers, où on voit le trading haute fréquence, qui est une aberration à tous les points de vue : financière, écologique, socio-économique… La taxation sur les flux permettrait déjà de ralentir ces flux irréels et parfaitement inutiles en fait, donc déjà il y aurait une forme de ralentissement de ces flux, ça limiterait aussi l’ensemble de ces flux purement artificiels. Après, tous les flux ne sont pas purement illégitimes. C’est-à-dire, pour ceux d’entre vous qui ont encore une voiture ou un scooter thermique, il faut quand même mettre du pétrole dedans, on n’a pas de pétrole en France, donc voilà, on a quand même besoin de matières premières qui viennent d’ailleurs, c’est normal qu’il y ait aussi des flux internationaux, et si on se met à taxer des flux internationaux, ce taux d’imposition sera nécessairement extrêmement bas, parce qu’il y a des flux légitimes qu’on ne peut pas totalement dissuadé. Par ailleurs, la grande distinction avec l’impôt sur les sociétés, c’est que c’est l’impôt sur le bénéfice des sociétés. Et donc ce qui est beaucoup plus juste parce que quand on impose le bénéfice d’une société, on ne va pas imposer une société qui ne réalise pas de bénéfice. Moi je ne suis pas communiste, je ne suis pas marxiste, je ne suis pas pour dissuader l’entrepreneuriat, je considère que c’est bien que des gens ait le sens des initiatives et se lancent dans des projets, et avant qu’on ai gagner le premier euro, ça me paraît difficilement acceptable de commencer à taxer avant qu’on ait pu mettre en place le premier début d’activité économique, parce que toutes les activités économiques ne sont pas nuisibles. Il ne faut pas avoir un discours ultra gauchiste… Et donc l’intérêt de l’impôt sur les sociétés c’est de ne taxer que les entreprises profitables, et là c’est quand même plus intéressant que des taxer tous les flux. Et c’est pour ça qu’il y a des propositions pour préserver cet impôt sur les bénéfices qui est plus juste que toute autre forme de taxation, comme la taxation des flux financiers ou même la TVA, parce que concrètement, ce qu’il va se passer si on continue dans le statu quo, si les états au niveau européen et même de l’OCDE n’arrivent pas à suffisament s’entendre pour mettre de l’ordre dans la taxation des entreprises, ce qui va se passer c’est que cette taxation des entreprises à moyens termes va disparaître. Il y a des projections, d’ici 2030/2040, cette taxation deviendra complètement anecdotique, et concrètement les besoins sociaux seront financés par la TVA, qui ne pèse que sur les consommateurs, et qui n’a aucun pouvoir redistributif. Et quelques parts les flux financiers ne sont pas redistributifs dans le sens où ils taxent de la même manière les grosses entreprises et les autres. Donc ça n’est clairement pas, de mon point de vue, une solution à privilégier.
Paul :
Merci pour cet éclairage, c’est important pour nous. Je ne vais pas évidemment parler à la place de Yann parce que je ne maîtrise pas le sujet, mais son idée,c’est que c’est des taxes infimes, et donc qui ne sont pas pénalisantes pour les consommateurs, effectivement comme la TVA… Mais j’ai entendu l’argument, qui est en effet intéressant parce que ce n’est pas la même approche, évidemment.
Antoine :
C’est à dire que je ne suis pas opposé à la taxation sur les flux, ça a un intérêt, je suis plutôt pour, mais ça ne répond pas au même objectif.
Paul :
Très bien. Avant de parler de la question du lanceur d’alerte, qui nous intéresse beaucoup, s’il y a des questions sur la première partie de l’exposé des uns et des autres, concernant plutôt la partie fiscale, et toutes ces stratégies d’optimisations ? Moi je voulais demander si on pouvait imaginer des stratégies non agressives d’optimisation ? Est-ce qu’il n’y a pas une fatalité d’une optimisation agressive ? Est-ce qu’il y a des formes d’optimisation acceptables, ou raisonnables ? Est-ce qu’on ne bascule pas nécessairement dans la forme agressive que vous avez évoquée ?
Antoine :
Et bien c’est toute la difficulté de cette question. C’est-à-dire que la réponse type des multinationales, c’est de dire qu’elles respectent les lois en vigueur, et qu’elles payent un montant d’impôts, estimez-vous heureux, on emplois tant de personnes, et donc de leur point de vue, elles ne font qu’exploiter ce que permet la loi, et il y pas de problèmes. Après, je pense que pour évaluer ce qui relève d’une optimisation fiscale légitime, et d’une optimisation fiscale agressive, c’est le delta entre le taux d’imposition nominale, en France c’est 33% de taux d’imposition sur les sociétés, et ça peut être moins dans certains pays, mais en règle générale, c’est de l’ordre d’entre 20 et 30%, et le taux effectif d’imposition, qui par certains montages, par certaines opérations, peut être très très proche de 0. Je veux dire que plus on s’éloigne du taux nominal et plus le montage est agressif. Et après, c’est du jugement, c’est un sujet politique, il n’y a pas de bonne réponse. Après, la distinction entre l’optimisation et la fraude, c’est l’épaisseur d’un mur de prison, et là c’est toute la plus-value des conseillers fiscaux, c’est de conseiller les multinationales, en leur offrant une palette de choix d’optimisation fiscale, plus ou moins risquées, qui présenteront plus ou moins de risques d’être contestés par les autorités fiscales en cas de contrôle. Certaines tolèrent un risque d’un quart d’être condamnées à une amende, ou à un redressement, et pour elles c’est un risque tolérable, et là c’est la plus-value des conseillers fiscaux, c’est d’essayer de quantifier ce risque qu’on prend, et que le contribuable prend, en ayant bien à l’esprit que les moyens financiers pour se faire conseiller en matière de fiscalité sont quasiment illimités. C’est-à-dire qu’un accord fiscal au Luxembourg peut permettre parfois d’économiser des centaines de millions d’impôts, ce sont des choses vues à travers les Luxleaks, et ce ne sont peut-être pas les exemples les plus éloquents. Les Luxleaks, c’était vraiment la partie immergée de l’iceberg, les quelques documents qui n’ont pas eu la malchance d’être mis au jour. Il faut imaginer qu’il y en a des milliers en dessous qu’on ne connaît pas, et un seul document peut permettre d’économiser des centaines de millions d’euros d’impôts, donc imaginer les moyens qu’est prête à déployer l’entreprise qui bénéficie de cet accord pour le défendre, déjà pour l’obtenir auprès des conseillers fiscaux, pour aller chercher toutes les failles du système qui permettent d’économiser des centaines de millions d’euros d’impôt … Un avocat fiscaliste qui coûte 100 000 euros, c’est peanut, il est très très vite rentabilisé cet avocat fiscaliste. On peut en recruter dix et ça sera quand même rentable. Et après, même si on est condamné, on est prêt aussi à contester l’interprétation par l’administration fiscale. Quand la Commission européenne mobilise des dizaines de fonctionnaires pour condamner Amazon sur un montage fiscal, Amazon, ils ont des moyens illimités pour après exploiter tous les recours : ils peuvent faire appel, aller devant la cour de justice de l’Union européenne, avec souvent l’appui du Luxembourg qui est bien content souvent de défendre ses accords, pour ne pas effrayer les autres multinationales. Il y a une asymétrie de moyen qui est terrible.
D’autres questions sur la fiscalité ou j’enchaîne sur le lanceur d’alertes ?
Marie :
Une petite question, par rapport au début de l’exposé. Je me posais une question concernant les pays qui font l’accueil de ses magouilles. Le Luxembourg, la Suisse, on imagine des populations assez riches, qui en bénéficient. On a parlé du fait que ça bénéficiait quand même au pays d’une certaine manière. Je me posais aussi la question des pays très pauvres… Au Panama par exemple, c’est un pays plus pauvre, et je me demandais à quel point les populations sont touchées ou concernées par ces holdings ?
Antoine :
C’est une très bonne question aussi, parce qu’effectivement, en général, les stratégies de développement d’une place financière offshore n’arrivent pas par hasard, elles sont conseillées par des cabinets financiers, au Luxembourg par exemple, les quatre grands cabinets d’audit, les Big Four, interviennent très largement dans la conception de la loi, et c’est pareil dans toutes les places financières… Mais ça n’arrive pas par hasard, et ça concerne généralement des pays qui ont un désavantage naturel important, c’est des pays insulaires, en général éloignés et isolés géographiquement. Le Luxembourg c’est une enclave, aujourd’hui c’est un des pays les plus riches d’Europe. Après les statistiques sont un peu faussées parce que leur PIB est alimenté par beaucoup de non-résidents, mais ça reste quand même un pays très très riche… Mais avant de développer une place financière, c’était un des pays les plus pauvres d’Europe… Le Luxembourg sans la finance, c’est des champs de patate, et il n’y a pas beaucoup de richesses. Alors si, après il y a quand même eu le développement de la sidérurgie, mais concrètement, la place financière s’est développée massivement au moment de la crise industrielle qu’a connu la Lorraine. En général, le développement de stratégie offshore, c’est en réaction à une situation économique initiale qui est défavorisée. Donc si on veut corriger le jeu non coopératif de ses places financières offshores qui créent un manque à gagner terrible pour les autres démocraties sur la planète, il faut leur proposer une compensation. Malte, c’est un état insulaire, méditerranéen, qui est plutôt pauvre. Si on veut qu’ils arrêtent leurs magouilles fiscales, il faut leur proposer autre chose. Sinon c’est la pauvreté. Donc effectivement, ce n’est pas une solution simple. Il faut que les états riches qui taxent lourdement les entreprises soient prêts à mettre sur la table des financements pour les états desquels on soutirerait les pratiques fiscales un peu bancales. Et donc tout ça, c’est des questions de régulations mondiales, on est dans des questions de régulations de la mondialisation, c’est-à-dire qu’actuellement, il n’y a pas vraiment de règles du jeu, l’OCDE essaye de mettre de l’ordre, mais avec beaucoup de difficultés, et en tous cas avec une complexité inouïe, qui fait que les débats échappent en partie au débat démocratique. Le projet BEBS dont je parlais, c’est des milliers de pages, qui ne sont accessibles qu’a des experts, et donc qu’aux multinationales qui sont parties prenantes dans la conception de ces règles, et donc parties prenantes dans la manière de les appliquer, et donc aussi dans la manière de les contourner. L’état de fait, c’est plutôt une absence de vraie régulation, et comment on arrive à mettre d’accord des centaines de pays, c’est ça la mondialisation, pour éditer des règles du jeu équitables. Et là, on en est très très loin. C’est peut-être illusoire, effectivement, cette idée de taxation financière.
J’enchaîne sur l’alerte ?
Paul :
Alors, s’il n’y a pas d’autres questions, on va enchaîner et puis effectivement d’autres questions surgiront après coup, par rapport à la lecture des documents qu’on avait faite. Donc on va parler de cet aspect qui nous intéresse beaucoup en vous rencontrant, puisque c’est une expérience humaine, une prise de risque assez considérable. Une aventure on peut dire. Là, on a la chance en vous écoutant d’avoir un témoignage de première main sur cette décision de révéler quelque chose qui paraît injuste ou inacceptable, ce que ça entraîne comme conséquences, comment ça s’est déroulé depuis plus de six ans maintenant…
Antoine :
Je vais allez vite, je ne veux pas raconter tout ce qu’il s’est passé … Pour partir d’un schéma général, ce n’est plutôt pas un bon plan de lancer l’alerte en règle générale. C’est-à-dire que la plupart des lanceurs d’alertes se retrouvent quand même en exil, certains passent sous un train sans qu’on n’ai entendu parler d’eux, d’autres sont emprisonnés pendant des années sans perspectives réelles d’avoir un procès équitable un jour … Donc ça, c’est des situations réelles, et moi, ce que j’ai eu à vivre, c’est seulement une plainte de mon ancien employeur, qui a constaté, en regardant la télé, que des documents avaient fuité, donc ils ont fait une enquête interne pour comprendre d’où ça venait, ils m’ont assez rapidement retrouvé, parce que moi je ne suis pas un hacker… Deux ans après que j’ai fait un copié-collé, ils en ont retrouvé la trace, donc il faut imaginer qu’avec le numérique on est vraiment pisté… Ils ont porté plainte, et l’autorité judiciaire luxembourgeoise a suivi avec une investigation, un juge d’instruction qui a été nommé. Et donc j’ai été inculpé pour vol, violation du secret d’affaires, violation de secrets professionnels, accès frauduleux à un système informatique et blanchiment, et tout ça c’était passible jusqu’à dix ans de prison et 1,3 million d’euros d’amende. Il y a eu plusieurs procès, à chaque fois au Luxembourg, quatre en tout, en première instance, après la Cassation et à nouveau en appel et au final j’ai été acquitté pour tous les faits en rapport avec les LuxLeaks, ce qui est extrêmement rare, parce que comme je le disais, la plupart des lanceurs d’alerte subit des représailles plus longues. Notamment parce que ça a été une affaire publique, l’affaire a été médiatisée par l’ICIJ au départ, ça a donné de l’attention au sort réservé aux lanceurs d’alerte et il y avait une pression sociétale sur l’autorité judiciaire qui reste indépendante mais il y avait quand même cette forme de pression avec notamment un comité de soutien qui a été exemplaire avec des proches et des personnalités. Par exemple Thomas Piketty, peut-être que vous en avez déjà entendu parler, qui avait signé un témoignage de soutien, une tribune signée par Edward Snowden, Eva Joly, il y avait des gens qui sont venus à chaque audience, qui venaient au Luxembourg, pour des rassemblements de soutien. Donc ça faisait une pression étrangère au Luxembourg et qui a fait qu’ils n’ont pas pu faire un exemple comme ils l’auraient fait si le jugement avait eu lieu en catimini. Et donc j’ai été acquitté en vertu de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. C’est une instance qui dépend du Conseil de L’Europe, ce n’est pas l’Union Européenne, c’est beaucoup plus large, la Russie, l’Azerbaïdjan en font partie. Et il y a cette convention européenne des Droits de l’Homme qui protège comme son nom l’indique, les droits de l’Homme et donc la liberté d’expression et au nom de la liberté d’expression, des recommandations ont été mises en œuvre, pour protéger les lanceurs d’alerte qui ont le droit d’alerter l’opinion sur des dysfonctionnements et au fur et à mesure la jurisprudence a précisé à quelles conditions on pouvait définir un lanceur d’alerte et comment le protéger. Je remplissais toutes les cases, ce qui a conduit la justice luxembourgeoise à m’acquitter.
Paul :
Ces procédures coûtent très cher, non ? Parce que j’imagine que vous ne vous défendiez pas seul, il faut des avocats, il faut préparer les procès, quatre procès, c’est énormément de temps, de travail, de préparation, est-ce que là vous avez eu du soutien ? Comment avez-vous réussi à affronter toutes ces épreuves juridiques ?
Antoine :
Ça a coûté plus de 80 000€ pour ma défense, donc c’était supérieur à mes patrimoines et à l’ensemble de mes revenus sur la période des poursuites. Si j’avais dû y faire face seul… Après il est toujours possible de trouver des avocats pro bono qui travaillent pour la cause mais tout travail mérite salaire donc c’est mieux de les payer. Donc là c’était uniquement la solidarité publique, les collectes de dons, qui a permis de financer les avocats et même de financer au-delà parce qu’on s’attendait à devoir aller devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme et donc on a collecté plus que ce qu’on a dépensé donc ça nous a permis de le reverser pour la défense de Raphaël Halet notamment, l’autre lanceur d’alerte dont je parlais tout à l’heure qui, lui, a dû aller devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, parce qu’il a perdu en Cassation au Luxembourg. On l’a aussi donné à différentes associations qui promeuvent la justice fiscale et aussi la défense des lanceurs d’alerte. Notamment la Maison des Lanceurs d’alerte, qui a été créée en France et dont je parle aussi parce que j’en suis administrateur – pour faire un peu de pub – mais c’est pour expliquer tout simplement qu’il y a quand même un droit protecteur pour les lanceurs d’alerte qui est en train de se développer, notamment depuis 2016 en France, la loi Sapin II, qui accorde une immunité pénale et qui empêche toute forme de représailles envers les lanceurs d’alerte mais à condition que le lanceur d’alerte respecte un parcours assez précis qui n’est pas forcément évident. Il y a certaines lacunes dans cette loi mais il y a quand même une disposition qui protège les lanceurs d’alerte. Mais parfois les lanceurs d’alerte ne cochent pas toutes les cases et ce n’est pas toujours facile de bénéficier de cette protection et c’est pour ça qu’il y a aussi un champ pour la société civile, pour accompagner les lanceurs d’alerte. Car souvent c’est une démarche individuelle, c’est l’indignation qui surgit, qui pousse à agir, et donc on ne s’organise pas, on ne va pas forcément, avant de lancer l’alerte, chercher des contacts associatifs, syndicaux, qui permettent de se protéger, on se jette en fait un peu dans la gueule du loup sans vraiment s’en rendre compte et c’est pour ça qu’il y a besoin d’une protection en amont, et de prendre conseil avant de lancer l’alerte, ce que nous essayons de faire avec la Maison des Lanceurs d’alerte, en donnant des conseils juridiques, du soutien psychologique, des conseils techniques pour justement éviter des erreurs avec les nouvelles technologies, du soutien financier, on essaye de le faire. Et après, le paysage de la protection des lanceurs d’alerte au cours de cette période, en 2016 au moment du premier procès, ça a été l’adoption de la directive protégeant les secrets d’affaire. Il y a vraiment une contradiction entre ces deux objectifs. La protections des lanceurs d’alerte d’une part, qui vise à plus de transparence, à mettre en lumière certains dysfonctionnements, et d’autre part la directive qui protège les secrets d’affaire, qui a été transposée en urgence en France, là on a respecté les délais comme il fallait, et qui vise, au contraire, à protéger, en fait, une définition extrêmement large du secret d’affaire : toute information qui a une valeur commerciale peut-être considérée comme un secret d’affaire par l’entreprise. Concrètement, ça apporte une opacité extrême à toutes les activités économiques. Au départ, la légitimité de ce texte c’est pour éviter l’espionnage industriel, mais dans les faits c’est aussi employé pour dissuader le travail d’investigation des journalistes et des lanceurs d’alerte. Le deal qui a été fait au niveau de l’Europe qui a fait cette directive lanceurs d’alerte, c’était en contrepartie de réfléchir à une directive pour protéger les lanceurs d’alerte, qui depuis a été adoptée, donc c’est l’un des textes, un des articles que je vous ai partagé. Elle a été adoptée, c’est tout récent, depuis fin 2019, et là on est dans la période des deux ans qu’ont les états membres pour transposer cette directive, et ce qui est assez formidable c’est que la France était très très fière, Michel Sapin, ministre d’un gouvernement de gauche, avait apporté une définition très large du lanceur d’alerte, plutôt saluée par les ONG, la France est très fière de cette disposition, alors qu’elle était quand même critiquée parce que très insuffisante, mais la France a dit à l’Union Européenne « d’accord on va faire un texte à condition que vous fassiez un copier-coller de ce qu’on a fait en France ». Ce qu’exigeait la France du lanceur d’alerte c’est de respecter ce parcours très précis de devoir lancer l’alerte en interne. C’est-à-dire qu’un salarié d’un cabinet d’audit comme je l’étais, si il constate un dysfonctionnement, il doit d’abord en parler à son chef, qui a le temps d’intimider le salarié « pourquoi tu nous embêtes, t’auras pas de promotion, et si tu pars on te recommandera pas » et par ailleurs ça laisse aussi le temps de maquiller toutes les preuves et d’exercer toutes formes de représailles, interdites, certes, mais à partir du moment où on ouvre la possibilité elles peuvent avoir lieu. Une fois qu’en interne il n’y a pas eu vraiment de réaction, après on peut alerter les autorités, et seulement en absence de réaction des autorités, on peut enfin alerter le public, soit des journalistes soit des associations… Ce parcours était quand même assez contraignant, et heureusement au niveau européen, il y a quand même eu des débats très très riches et une action, une coalition d’ONG, avec des syndicats, qui ont mené un travail vraiment remarquable, qui ont eu une discussion ouverte avec certains parlementaires qui bataillaient. Et en fait la plupart des demandes de la société civile ont été adoptées. Là il y a eu vraiment un lobby non issu du milieu des affaires qui a été très fructueux, parce que c’était vraiment un exemple très rare et je ne comprends pas qu’on n’en ait pas plus parlé pendant la campagne des élections européennes, car c’était plutôt à l’avantage des institutions qui sont quand même habituellement très critiquées. C’était quand même une avancée démocratique majeure avec cette protection des lanceurs d’alerte et notamment cette directive met sur un pied d’égalité les deux premiers paliers, c’est-à-dire que le lanceur d’alerte a le choix d’alerter en premier sa hiérarchie ou les autorités. Et aussi, même en droit français déjà, il y a une procédure d’exception, une procédure d’urgence, d’alerter directement le public, mais il faut être sûr de son coup et pouvoir justifier qu’on est dans cette exception, donc plutôt, à déconseiller. C’est donc une avancée majeure, qui a eu lieu grâce à une succession de scandales, et l’affaire Luxleaks y a contribué. C’est-à-dire de voir des lanceurs d’alerte devant les tribunaux, alors que l’intérêt général européen était assez facilement reconnu par les parties prenantes. L’intérêt général des informations révélées était facilement reconnu, c’était quand même un bon point pour faire avancer cette directive, et après il y a eu une succession de scandales, à chaque fois à l’origine de lanceurs d’alerte. C’est-à-dire que, en démocratie où c’est le peuple qui a le pouvoir, il faut que le peuple soit informé pour pouvoir exercer son pouvoir de manière efficace. Et une fois qu’on adopte des règles, pour pouvoir les appliquer correctement il faut que les autorités aient accès à ces informations. Aujourd’hui le monde des affaires a une opacité telle que cette circulation d’informations n’a pas lieu et les autorités de contrôle sont tellement défaillantes qu’il y a besoin malheureusement d’avoir recours à ce dernier rempart que constituent les lanceurs d’alerte, salariés à la base, qui découvrent un jour un problème grave et qui souhaitent en parler. C’est aussi une réponse à l’insuffisante régulation de la mondialisation : le fait que, en conclusion un peu générale, le droit aujourd’hui est encore très principalement national, ce qui est totalement inadapté à une situation de faits où les acteurs économiques sont mondiaux. C’est une situation de régulation parfaitement insatisfaisante, d’un point de vue fiscal, c’est pareil pour les questions environnementales qui sont peut-être encore plus urgentes, et c’est pareil pour beaucoup d’autres questions : le droit maritime c’est le far west ! Il n’ y a pas vraiment de loi et on fait ce qu’on veut !
Il y a plein de problèmes comme ça posés par la mondialisation et cette absence de régulation suscite d’autant plus le besoin de lanceurs d’alerte pour révéler à l’opinion quels sont les, voilà, ces dysfonctionnements très très graves. Et quelque part, cette indignation de l’opinion, sous la pression, quelques fois, permet d’aboutir à une meilleure régulation. Et ça c’est vraiment tous domaines concernés et peut-être le cas de lanceurs d’alerte le plus récent et qui a révélé à nouveau l’importance d’écouter les lanceurs d’alerte et de leur permettre de s’exprimer sans risque, c’était un ophtalmologue, un médecin, qui a cherché à alerter les autorités sur l’existence du Covid-19. J’espère que ça ne va pas couper notre communication avec la Chine, mais la première réaction des autorités ça a été de l’arrêter pour trouble à l’ordre public. Alors que c’est le premier médecin qui a compris la gravité de la situation. Si on l’avait écouté plus tôt au lieu de l’arrêter, on aurait peut-être réagi un peu plus rapidement aussi.
Paul :
Oui c’est un très bon exemple parce qu’il est récent et nous concerne très directement. Est-ce que, au travers de la Maison des lanceurs d’alerte, vous voyez potentiellement beaucoup de gens qui sont un peu dans votre situation, c’est-à-dire choqués par des fonctionnements, qui réfléchissent ou qui hésitent, qui se demandent comment faire pour les dénoncer. Parce qu’il y a potentiellement, est-ce qu’il y a beaucoup de demandes d’information de la part de lanceurs potentiels ?
Antoine :
En étant au conseil d’administration, il y a évidemment une confidentialité très forte, c’est-à-dire que je ne suis pas tenu au courant de ce que traite l’équipe de permanents juridiques. C’est une nécessité pour protéger les lanceurs d’alerte. Le but ce n’est pas de crier, de diffuser leur affaire très largement avant qu’ils l’aient décidé. Mais il y a quand même une partie statistique : sur la première année d’exercice de la maison des lanceurs d’alerte, elle a commencé à être opérationnelle fin 2018, donc jusqu’à fin 2019, il y a eu une centaine de contacts par des lanceurs d’alerte. Ça montre qu’il y a une activité relativement soutenue, et c’est plutôt en augmentation, c’est-à-dire que c’est aussi le temps que la structure se fasse connaître, et pour l’instant on n’était pas de très bons communicants. Je ne suis pas sûr que vous-mêmes connaissiez cette structure avant que j’en parle. Je pense que ça va augmenter à l’avenir. Après, parmi cette centaine de lanceurs d’alerte en un an, il faut aussi voir qu’il n’y a pas que des alertes sérieuses. Il y a aussi pas mal de paranoïaques qui imaginent qu’on leur a mis une puce dans le cerveau et qu’ils se font observer par des martiens. Et il y a des choses comme ça, après ils contactent la maison des lanceurs d’alerte, on leur apporte le conseil peut-être d’aller se faire soigner, mais avec plus de tact. Il y a aussi ce genre de choses, il n’y a pas que des alertes sérieuses. Mais il y en a beaucoup.
Paul :
Il doit y avoir des questions d’échelle aussi, puisque l’alerte que vous avez porté, elle avait un impact international, européen mais international. Il y a des alertes qui peuvent être complètement légitimes mais qui peuvent être locales et donc avoir moins d’écho médiatique et être presque plus dangereuses en termes de relations avec un employeur, une ville, etc. Je me demandais si ce travail que vous avez fait et l’évolution plutôt favorable, même si elle est lente, de la législation, ça n’allait pas conduire les entreprises à être d’autant plus précautionneuses au moment de l’emploi, au moment de la signature des contrats des employés, par exemple, quand vous êtes rentré dans cette entreprise d’audit, est-ce que vous avez signé un accord de confidentialité, est-ce qu’il y a eu une enquête sur votre passé, votre positionnement politique, votre réseau d’ami, etc, et est-ce que ne sont pas des choses qui risquent de se développer. Est-ce que les entreprises, faces à des lanceurs un peu mieux protégés, ne vont pas inventer des contre-feux pour limiter les risques en quelque sorte ?
Antoine :
Si c’est certain, alors déjà il y a un renforcement considérable de toutes les procédures informatiques. Aujourd’hui, dans aucune entreprise de cette envergure on peut imaginer télécharger des giga octets de données sans qu’il n’y ai une alarme quelque part dans un bureau d’un informaticien. Déjà ça ce ne serait plus possible, après effectivement en matière de ressources humaines, on peut imaginer un renforcement. Des clauses de confidentialité il en existait déjà que j’ai ignorées, et même là au Luxembourg il y avait le droit pénal et ce serait pareil pour un auditeur en France. Un auditeur fait partie de ces professions soumises au secret professionnel, un peu comme un avocat ou un médecin. Il n’est pas censé communiquer les informations qu’il y a dans les archives de son métier parce que pour contrôler les comptes d’une entreprise il faut avoir la confiance de cette entreprise pour contrôler ces informations. Ça relève plus du droit pénal, c’est pour ça que j’ai été inculpé avec des peines aussi lourdes, mais dans certains cas le droit prévoit que si l’intérêt général est largement supérieur, on peut violer ce secret. La protection des lanceurs d’alerte c’est la recherche d’un équilibre entre deux objectifs contradictoires et c’est assez intéressant mais globalement ce que prévoit la Cour Européenne des Droits de l’Homme et la directive, c’est vraiment la mise en balance des intérêts respectifs entre les intérêts de l’organisation qui subit un préjudice – d’avoir des secrets révélés – et après l’intérêt public de voir cette information révélée. C’est vraiment une appréciation au cas par cas qui permet de voir. Et c’est mouvant parce que la définition même d’intérêt général n’existe pas, c’est quelque chose de politique, qui bouge dans le temps, en fonction de l’opinion, etc. Mais après les auditeurs juniors c’est un peu la chair à canon du cabinet d’audit. Ils en recrutent des centaines par an, donc je ne pense pas qu’ils puissent déployer des enquêtes approfondies pour chaque recrutement. Après, à partir d’un certain niveau de poste, c’est déjà une réalité qu’il y a des enquêtes. Si j’étais recruteur, je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose de taper dans Google le nom du candidat avant de le recruter. Et c’est ce qui a été fait dans mon cas au cours de l’enquête. C’est-à-dire toutes les traces informatiques que j’ai laissé, le fait d’avoir signé une pétition contre les paradis fiscaux, c’était déjà quelque chose d’incriminant d’après eux.
Paul :
Cela semble être un symptôme, un indice préalable. J’ai entendu que certaines entreprises américaines exigeaient avant l’embauche, de pouvoir consulter, d’avoir les mots de passe pour examiner les réseaux d’amis dans lesquels la personne était inscrite ou si elle avait pu dire des choses négatives sur l’entreprise, etc.
Antoine :
L’intrusion c’est absolument effrayant, et il faut être très vigilant aux libertés publiques. L’enjeu du lanceur d’alerte c’est aussi, de dire que la citoyenneté de s’arrête pas à la porte de l’entreprise. C’est-à-dire que, en bon salarié modèle, on est jeune diplômé, on a envie d’être recruté par une belle entreprise, effectivement on va essayer, si jamais on a des activités militantes ou des opinions tranchées, c’est un bon conseil de ne pas rendre tout ça public pour préserver son employabilité, mais après il faut se dire que ce n’est parce qu’on est en poste, qu’on n’a pas le droit d’avoir des activités autres. On ne vend pas son âme au marché quand on rentre dans une entreprise côté. Un des enjeux du syndicalisme est d’avoir le droit de conserver un point de vue critique au sein de l’entreprise. C’est sûr que ce n’est pas quelque chose de très en vogue aujourd’hui. C’est de plus en plus difficile, vu l’organisation du travail actuel. On est de plus en plus indépendant, isolé et pas forcément sur des contrats de salarié en CDI.
Paul :
Alors on va voir quelles sont les questions qui ont été préparées et qu’on peut vous poser. Mais juste avant les questions, un petit éclairage sur la relation avec nos pratiques et avec l’art, mise à part les questions de la mondialisation que l’on a bien comprise au travers de votre exposé. Au Luxembourg, il y a un musée d’art contemporain remarquable qui s’appelle le MUDAM, qu’on a visité régulièrement avec les étudiants de Nancy. J’ai même amené des étudiants chinois visiter le MUDAM. Là on peut se demander, alors je ne sais si vous avez des informations là-dessus, mais effectivement, ce que vous avez évoqué comme stratégies de développement d’un territoire, appuyé sur cette activité financière, ça peut aussi donner lieu à une plus-value culturelle. (C’est-à-dire la construction d’un musée prestigieux, la réunion d’une collection importante.) Finalement, ce n’est peut-être pas de l’optimisation pour le pays, mais ça résulte d’activité que vous avez décrite. C’est-à-dire que ça donne un certain standing à la ville ou au pays. Il y a peut-être un lien indirect entre ces activités financières préjudiciables et puis des bénéfices d’affichage culturel important. J’ai lu un article récemment sur le port franc de Genève. Il y a un port franc à Shanghai aussi. Qui sont aussi des lieux quasi secrets qui permettent aux hommes d’affaires ou à des collectionneurs de placer des œuvres à l’abri du regard et à l’abri du fisc aussi. On aurait une sorte d’équivalent de ces opérations financières dans le champ de l’art, qui sont peut-être aussi des actions financières complémentaires pour masquer des bénéfices, qui permettent de soustraire aux regards publics des taxations, des impositions des œuvres qui valent très cher. Le monde artistique pourrait sembler assez loin du monde des banques et de ces cabinets d’audit, mais je pense qu’il y a des connexions très fortes entre les deux.
Je ne sais pas si vous avez eu l’occasion de voir le MUDAM ou si vous aviez une idée sur les liens possibles entre un musée et le Luxembourg. Le MUDAM pour nous fait partie de l’image du Luxembourg, de son niveau de richesse et de son niveau culturel.
Antoine :
C’est sûr que le développement du secteur financier apporte beaucoup de moyens pour développer tout un tas de choses… Le Luxembourg a développé récemment la gratuité des transports publics. Ce sont des choses qui s’éloignent du domaine de l’art, mais effectivement il y a une prospérité qui permet de faire des choses qu’on ne pourrait pas faire ailleurs. Alors pour revenir à l’art, ça solvabilise l’art ou en tout cas une certaine forme d’art et des artistes, mais aussi est-ce que ça n’alimente pas une bulle spéculative des artistes en vogue ? Et est-ce que ça ne capte pas aussi des créations qui serait diffusé ailleurs s’il n’y avait ce sur financement par un état extrêmement prospère. De la même manière que les ports francs privent du regard public un certain nombre d’œuvres.
Paul :
Oui, tout à fait, c’est vraiment très problématique, mais ça crée une image polissée, culturelle, une forme de blanchiment, finalement, indirecte. Mais c’était juste pour dire qu’en tant qu’artiste, on pouvait bénéficier de l’effet indirect de ces opérations, qui ne sont pas illégales comme vous l’avez dit, mais qui sont tout à fait contestables, préjudiciables probablement.
Quelles sont les questions que cela pose aux uns et aux autres, soir sur la lecture des documents qu’on reçut, soit l’exposé qu’on vient d’écouter ?
Mathilde :
Alors moi j’avais deux questions, surtout par rapport à la partie qui concerne les lanceurs d’alertes en règle générale et par rapport à l’expérience à raconter. Une peut-être un basique et naïve. On a pu lire dans tous les articles que tu nous as envoyés et dans ce que tu viens d’expliquer que parmi les chefs d’accusation il y avait blanchiment et vol domestique. Je comprends les autres chefs d’accusation, mais blanchiment me paraît être presque une sorte d’ironie. J’ai un peu de mal à comprendre comment on justifie ce chef d’accusation là. Deuxièmes questions que j’avais, c’était par rapport à ICIJ, qui ont publié des copies des documents sur un site internet librement accessible au public. Je voulais savoir quelle était ta position par rapport à la mise en ligne de ces données à l’état brutes. Quel rôle toi tu as joué dans leurs mises à disposition sous cette forme-là. Et indirectement quelles positions tu pourrais avoir par rapport à la mise à disposition d’informations brutes en open source. Je trouve qu’il y a vraiment un frottement entre l’open source en règle générale et ce partie pris de mettre les choses à l’état brut en ligne. Et je voulais te demander, par la même occasion, si tu pouvais développer un peu plus au sujet des médias, entre autres, la manière dont tu as commencé à diffuser ces informations.
Antoine :
Sur le blanchiment, c’est un peu anecdotique en fait c’est... Le vol domestique c’est le vol d’informations. Il y a eu un débat pour savoir si le vol peut être immatériel, puisque là ce ne sont juste que des documents informatiques. Et les données domestiques ça appartient à la formulation luxembourgeoise, c’est en gros, le vol de quelque chose à son employeur. Le Luxembourg a légiféré sur le blanchiment dans l’urgence, sous pression du GAFI (le Groupe d’Actions Financières) et ils ont retenus une définition du blanchiment qui est très étrange, proche de la définition du recèle en France (l’utilisation du produit d’un vol). Donc là, c’est le simple fait d’avoir utilisé des documents que j’avais volés, en les gardant et en les confiant à journaliste ; ça pour eux c’est du blanchiment. Ils ne m’ont jamais accusé de m’être enrichi, même s’ils avaient fait des ordres de réquisition, de relevés bancaires… Après, sur le rapport à la mise en ligne de données brutes, pour moi ce n’était pas du tout l’option que j’avais privilégiée au départ puisque je n’avais les compétences pour analyser l’ensemble des documents que j’avais copié. Ça représentait des milliers de pages et n’étant pas expert en fiscalité, je ne pouvais pas savoir ce qui était réellement choquant des tax ruling qui étaient, peut-être, légitimes. Et là-dessus, il y a pôle important du journalisme, c’est de faire le trie entre l’information d’intérêt public et l’information qui ne l’est pas. C’est vraiment ça le métier du journaliste. Et, pour moi, c’est important. Parce que j’aurais eu accès à des moyens de diffuser publiquement les informations sans intermédiaire. WikiLeaks existait déjà. J’aurais pu envoyer un CD à WikiLeaks ou le publier moi-même sur un blog. L’idée aurait été à creuser, mais ça aurait été faisable, mais ça n’était pas la démarche que j’ai souhaitée, pensant que la recherche d’intermédiaires me conforterait dans mon interprétation des documents. D’abord des ONG et après, comme ça n’avait pas donné, vraiment, une exploitation des documents faute de ressources de la part des ONG contactées. Du coup, la voie du journalisme était pour moi un bon moyen de filtrer ce qui est public ou pas. Et je ne suis pas pour la publication de toutes les tax ruling parce que ça peut contenir des informations confidentielles, sur le prix de certaines actifs, sur les facturations internes au groupe ou des choses comme ça. Ça n’a pas forcément vocation à être public. On peut avoir des informations confidentielles sur certains projets d’acquisition ou des choses comme ça… dans le monde des affaires, ça me parait utopique d’espérer une totale transparence, en tout cas, il y aura un frein… jamais ça ne sera accepté par le monde des affaires. On ne peut pas l’espérer. Mais par contre, qu’il y est une publication d’un certain nombre d’indicateurs agréger ça c’est essentiel. Pour l’instant les échanges automatiques d’actions qu’on a vues tout à l’heure, du point de vue de l’administration fiscale, déjà c’est pas du tout publique et même la commission européenne, sans parler d’échange des tax ruling, on parle d’échange d’informations sur les tax ruling, c’est-à-dire que chaque administration filtre ce qui leur parait pertinent ou pas à échanger. La Commission européenne, elle-même, n’y a pas accès, c’est-à-dire, on l’a vu tout à l’heure, c’est la Commission européenne qui lance les enquêtes, contre Amazon, Apple, etc. C’est elle qui le fait parce que les états membres n’ont pas envie d’embêter les multinationales, ils auraient trop peur de perdre en compétitivité, en attractivité, donc c’est la Commission européenne, en dernier ressort, qui le fait et elle n’a pas accès aux données. Par ailleurs, la Commission européenne était très contente des LuxLeaks. Elle dit « pour nous c’est une information utile d’étudier ces documents » et notamment pour elle c’était une information de marché. Tout à l’heure, on parlait de transfert de bénéfice, comment localiser les bénéfices dans un pays ou un autre… un des moyens utilisés c’est les prix de transfert, c’est-à-dire, comment on facture une marchandise ou un service à l’intérieur du groupe. L’exemple que je donnais tout à l’heure sur les taux d’intérêt, c’est le prix de transfert entre les services financiers, le prêt d’argent. Mais il peut y avoir un prix de transfert, par exemple, un kilo de banane, on le facture tant à une entité du groupe et cette entité du groupe va leur facturer un autre prix et ça permet de jouer sur les prix et de localiser les bénéfices un peu où l’on veut. Alors tout ça c’est quand même encadré par des normes. On n’est pas censé s’écarter trop des prix du marché. Ce qui n’empêche pas qu’il y ait des prix totalement aberrants par rapport aux prix du marché, parce que ça n’est pas suffisamment encadré, mais normalement on ne peut pas s’écarter trop des prix du marché. D’où l’utilité d’avoir une information publique. C’est notamment à ça qu’ont servi les documents des LuxLeaks pour la Commission européenne. C’est d’avoir une base documentaire d’opération… c’est ça qui se fait sur le marché et là on sait. Et après ta dernière question, c’était quoi ?
Mathilde :
Ma dernière question, en complément de ces précisions sur la diffusion et la mise à disposition des données brutes, je voulais te demander si tu pouvais développer un peu sur la manière où tu as commencé à diffuser les informations. Ce qui m’intéressait là-dedans c’était de poser la question des médias que tu avais utilisés en plus des acteurs.
Antoine :
C’était le cas d’avoir des données protégées et sensibles pour le Luxembourg. En tant qu’auditeur, c’était déjà interdit de parler avec des collègues qui ne travaillaient pas sur les mêmes dossiers. C’est-à-dire qu’à l’intérieur de l’entreprise on n’a pas le droit de parler de nos dossiers, donc vous imaginez un peu le climat de secret qui pèse. Après, c’est évidemment interdit de parler de quelque chose en dehors de l’entreprise, plus interdit de parler de quelque chose en dehors du Luxembourg et encore, vraiment, plus interdit de parler de quelque chose à un journaliste, qui va rendre la chose publique. Donc là c’était hyper radical, je savais que je prenais des risques par rapport à mon contrat, mais aussi par rapport au droit pénal. Je ne m’étais pas mis à quantifier combien parce que ça m’aurait, peut-être, dissuadé d’agir. Mais au départ les premières tentatives pour parler de ce qui me dérangeait vraiment, parce que j’en avais besoin… j’espérais que ça fasse débat ou en tout cas que des gens appropriés puissent s’approprier cette information. Si des journalistes, des économistes, des ONG ou des administrations fiscales mettaient la main sur ces informations, ça permettait déjà d’en tirer proprement parti. Donc au départ, j’ai juste témoigné anonymement sur un blog, pour dire, voilà ce que je vois, il y a une personne qui valide tout au Luxembourg et ça amène à des situations proprement scandaleuses. Là, je le fais anonymement, sans citer de cas précis, sans citer d’entreprises et sans citer mon cabinet. Après j’ai écrit aussi à la radio, sous l’impulsion, j’avais entendu un truc, je pensais pouvoir apporter une information complémentaire qui enrichissait le débat, donc je l’ai fait de manière très générale de nouveau sans citer de cas précis. Et après c’était Édouard Perrin, donc un journaliste d’investigation et là c’était un le dernier recours, puisque je confie les documents, en 2011, j’ai déjà vu des ONG, j’ai déjà cette première tentative qui n’a pas donné grand-chose… pour moi c’est un peu le dernier espoir de changer quelque chose avec ces documents qui périment vite, quelque part. Donc je confie les documents et après la CIJ, moi je n’ai eu aucun contact avec eux et après le transfert s'est fait dans un certain mystère… après officieusement, on imagine un peu, mais après moi je n’ai pas spécialement contribué aux enquêtes des médias. Parce que déjà, pour protéger la source, mais aussi parce que je n’avais pas l’expertise pour étudier les documents.
Paul :
Est ce que vous aviez imaginez les conséquences, l’impact que ça aurait niveau médiatique, après Cash Investigation, est-ce-que c’est une surprise que c’est eu autant d’effets ? Ou c’était ce qui était prévu ?
Antoine :
Non et c’était une excellente surprise puisqu’en fait, les poursuites judiciaires ont eu lieu suite au Cash Investigation, donc moi j’apprends qu’il va y avoir une publication par la CIJ, par mon avocat au moment où je commence à organiser une défense, sachant que je risque de la prison pour ce que j’ai été identifié pour mon rôle et jusque-là il n’y avait eu qu’une émission de télé en France. Donc le fait que la CIJ sorte quelque chose était une bonne nouvelle. Pour le coup effectivement c’est ça qui a donné une envergure à cette affaire et qui a permis des conséquences positives. C’est-à-dire que pour justifier que je suis un lanceur d’alerte, il faut aussi justifier de l’intérêt public des informations et l’intérêt public arrivait bien plus facilement par la couverture médiatique permise par la CIJ.
Héloïse :
Ma question, elle revient, peut-être, un peu au début de l’exposé. En regardant un peu plus par rapport au cabinet PWC, j’ai vu qu’il avait un contrat avec l’académie des Oscars. Alors tout à l’heure Paul a parlé de plus-value culturelle. Le mini scandale qu’il y a eu c’est qu’ils ont annoncé le mauvais gagnant de l’Oscar du meilleur film. C’est un peu éloigné de ce dont on a parlé, mais j’arrive à comprendre quel est leur intérêt dans le fait de donner la mauvaise enveloppe et remettre la bonne après. Et puis sinon peut-être une autre question aussi… c’était par rapport à la motion de censure de Jean-Claude Junker, c’était essentiellement le Front national et les groupes eurosceptiques qui ont défendu cette mention de censure envers cette personne-là. Pourquoi c’est essentiellement les groupes de droites et d’extrême droite qui ont appuyé la mention de censure contre Jean-Claude Junker ? C’était juste « anti-europe » ou c’est quoi d’autre ?
Antoine :
Alors sur la première question, sur les oscars, j’en sais rien... Mais en gros WC, le rôle là-dedans c’était de faire huissier... Comme on voit dans les jeux télévisés, c’est-à-dire d’officialiser la procédure, pour montrer que la sécurité est sérieuse. Je ne pense pas qu’il y ai eu d’intention... Je pense que c’était vraiment une erreur, et du coup c’est vrai que ça leur a peut-être posé un dégât d’image... Mais c’est juste ça. Après c’est un peu une « péripétie ». Après je ne connais pas très bien l’affaire.
Sur la motion de censure... Moi j’étais extrêmement gêné que ce soit la première réaction politique officielle... Que ce soit à l’initiative de l’extrême droite ! Pour moi ce n’était pas ça l’objectif de départ, et effectivement c’est un scandale qui a été instrumentalisé par l’extrême droite... Après, la motion de censure, l’enjeu c’est «est-ce que on utilise l’affaire pour s’attaquer à l’institution elle même ? » Pour espérer que l’institution puisse corriger ses mauvaises pratiques. Et là dessus, l’extrême gauche était, enfin le groupe politique « la GUE » Gauche Unitaire Européenne qui siège le parti communiste et les insoumis était tenté de voter la motion de censure avec l’extrême droite et c’est le groupe « Les Verts » qui les en ont dissuadé. Alors je ne sais pas quel est l’argument qui a le plus pesé mais je pense que, jamais un président de la commission européenne n’a été autant scruté sur les questions fiscales que Jean-Claude Juncker. Et le fait qu’il démarre son mandat avec de telles casseroles, il était obligé d’agir au cours de son mandat et d’essayer de trouver des solutions. Et dans les faits, maintenant que son mandat est terminé… (Je ne suis pas du tout « pro-Juncker » ni pro « centre-mou » de l’union européenne, « la grande coalition... » qui n’est pas capable de faire grand-chose..) Mais je pense que tout de même, sur les questions fiscales, il y a eu des propositions intéressantes. Notamment, il y a eu une tentative de relancer l’ACCIS... l’Assiette Commune Consolidée pour l'Impôt sur les Sociétés qui en gros est l’équivalent de la taxation unitaire dont j’ai parlé mais à l’échelle de l’union européenne. Ils ont essayé de relancé ça, mais c’était un projet déjà ancien, et la commission européenne a quand même avancée sur certain dossiers, et à chaque fois ce qui freine c’est les états membres. Donc je dirai que ce n’est pas Jean-Claude Juncker ou la commission européenne dans son ensemble qui pose problème, c’est plutôt des états membres qui freinent. Et là par exemple je regardais où en était le « reporting » public, pays par pays au niveau de l’union européenne et donc il y a eu à nouveau un blocage. Et là par exemple dernièrement, les états qui ont bloqué c’est le Luxembourg quoi… et puis je crois qu’il y a eu l’Irlande et la Suède. En tout cas, pour des sujets comme ça, ce n’est pas la commission européenne, ce sont plus des états membres qui bloquent.
Paul :
Merci. Des questions ?
Marie :
Est-ce que vous travaillez avec ATTAC en ce moment ?
Antoine :
Alors je travaille pas du tout pour ATTAC, après je collabore de temps en temps avec eux pour différents projets comme ça... Après c’est qui fait partie un peu de l’issue heureuse par rapport à d’autres lanceurs d’alertes, c’est qu’en général, le premier préjudice c’est la perte d’employabilité. C’est à dire qu’une fois que votre nom est sorti, pas forcément publiquement mais au moins dans un secteur d’activité, c’est impossible de retrouver du boulot dans son domaine de compétence et en fait moi j’avais fait le choix de démissionner et de me réorienter donc je n’ai pas subit se problème d’employabilité puisque j’ai choisi donc je n’ai pas subit. C’était vraiment un choix de changer de boulot, et j’ai passer des concours de la fonction publique en France avant que l’affaire éclate. Après je ne sais pas si j’aurais réussi les oraux avec ce passé, mais là, la chronologie s’est bien passée par hasard... Maintenant je travaille à l’INSE à Nancy.
Marie :
Est-ce que vous savez si ATTAC aide de nouveaux lanceurs d’alertes ? Est-ce qu’ils aident à la protection ?
Antoine :
ATTAC fait partie des ONG fondatrices de maison des lanceurs d’alertes donc leur rôle c’est surtout à travers la maison des lanceurs d’alertes de protéger des lanceurs d’alertes. Et après le fonctionnement de la MDLA, c’est que c’est un point central pour apporter un conseil, et après la question c’est qu’on protège le messager, mais ce qui est aussi très important c’est de protéger aussi l’alerte en elle même. Et c’est quelque-part deux choses différentes. Et c’est aussi souvent la première revendication des lanceurs d’alertes. C’est que avant que l’on se préoccupe de leur sort et qu’on se préoccupe qu’ils retrouvent un emploi etc. c’est surtout qu’ils soient entendus, parce que le principe même de l’alerte c’est de s’exprimer sur un dysfonctionnement grave. S’il n’y a personne pour entendre cette expression, ça ne sert strictement à rien ! Il faut qu’il y ait une écoute. Et au sein de la maison des lanceurs d’alertes, pour essayer d’évaluer si l’alerte est pertinente ou pas, et comment on peut la « pousser », la faire avancer vers des médias, vers des autorités, en tous cas d’essayer de trouver une réponse à cette alerte, et bien on s’appui sur les expertises des organisations membres. Donc ATTAC ils peuvent être saisie pour des questions financières pour lesquelles la MDLA n’aurait pas l’expertise. Après il peut y avoir aussi des organisations syndicales qui peuvent aussi avoir leur expertise, l’association CHERPA qui va être là plus sur des questions de responsabilité des multinationales... Il y a Greenpeace sur des questions environnementales, ANTICORPS surs des affaires de corruption, le réseau Santé Environnement qui va être là sur des questions de Santé- Environnement, Acrigène sur la radioactivité… donc il va y avoir toute une palette d’organisations qui vont être là pour apporter leurs propres expertises.
Marie :
Effectivement l’intérêt quand même que l’information sorte !
Antoine :
C’est vraiment ça l’enjeu, c’est de peser l’intérêt de l’information et ce que l’on risque en lançant l’alerte. Et de voir comment on peut lancer l’alerte sans exposer le messager. Ça c’est ce qui est préférable, mais c’est loin d’être une garantie à 100 %. Il y a des outils de confidentialité, etc. Mais c’est jamais parfait, par exemple même si on garantie l’anonymat. Pour les lanceurs d’alertes en général personne n’est « pour l’anonymat » pour plein de raisons... Mais même si on arrivait à garantir l’anonymat du lanceur d’alerte, ce qui a été le cas dans certains scandales... je crois que pour les Panama Papers, on ne sait toujours pas qui a sorti les documents ! Et donc à priori cette personne vit la même vie qu’elle vivait avant de lancer l’alerte, ce qui est le mieux à souhaiter pour un lanceur d’alerte. Mais le truc c’est que même si on garantie l’anonymat, en général, le faible nombre de personne qui ont accès à ce genre de document, fait qu’on arrive quand même à retrouver par recoupement d’où ça vient. Même si on a réussi à utiliser des outils très sécurisés, à trouver des intermédiaires, etc. C’est pas toujours possible de vraiment protéger l’origine des informations.
Paul :
Des questions ?
Marine :
Bonjour, j’aurai une question sur la question de l’intérêt publique. Dans votre affaire, comment les juridictions ont déterminés l’intérêt publique ? Sur quels critères l’intérêt public des révélations que vous avez faites a été déterminé ?
Antoine :
Il n’y a pas de critères et il n’y a pas de définition. C’est vraiment toute la difficulté de la protection de ce lanceur d’alerte, et tout les cadres faisant appel à la protection des lanceurs d’alertes font appel à cette notion d’intérêt public ou d’intérêt général. Aussi bien la jurisprudence de la SEDR qui m’a déjà protégée ou la loi Sapin 2 qui protège actuellement les lanceurs d’alerte en France, ou même la directive européenne, toutes font appel à cette notion, qui est très floue. Donc c’est vraiment une appréciation au cas par cas, et c’est les juges qui apprécient ça, et je crois pas qu’il existe de grille de critère, vraiment c’est pas forcément sécurisant juridiquement pour le lanceur d’alerte. Après, par la nature générale, potentiellement, de l’intérêt public et bien là ça peut-être très très large potentiellement, donc c’est aussi ce qu’il y a de plus protecteur. Si on commençait à faire une liste de critères, on ne pourrait pas penser à tous les cas. Donc c’est pour ça qu’il faut aussi laisser une liberté d’appréciations aux juges, et là dans l’affaire Luxleaks, ça a pas tellement fait débat, parce que, il s’était passé tellement de choses, notamment avec la couverture médiatique de CCFG, que c’était assez simple de trouver ça, après nous avons vachement « bétonné « avec les avocats. Bon il y avait une pétition de soutien avec plus de 200 000 signataires. Il y avait les réactions politiques au parlement européen, à la commission européenne, qui soulignait à chaque fois que les Luxleaks avaient quand même apportés des informations inconnues jusque là. Le fait que j’ai été entendu par la commission parlementaire au parlement européen… Il y avait pas mal de choses comme ça. Il y a pas mal de témoins que l’on a fait venir à la barre, des experts sur le sujet. Par exemple une chargée de plaidoyer de la coordination européennes pour les ONG, qui s’occupe de la justice fiscale. Les luxleaks ont clairement alimenté son travail, elle venue expliquer dans quelle mesure, c’est des choses qui suffisent à montrer qu’il y a un intérêt public.
Paul :
Est-ce qu’il y a d’autres questions ?
Alexis :
Je voulais savoir, de quoi on parle lorsqu’on parle de « football leaks » ? Qu’est-ce qui différencie les différentes affaires ?
Antoine :
Alors je ne connais pas parfaitement les football leaks, mais je connais un peu parce que je fais partie d’une association qui s’appelle « les single network » qui protège aussi les lanceurs d’alertes mais là aussi en lien avec un organisme de journalisme d’investigation collaboratif. Et donc Rui Pinto, le lanceur d’alerte des footballleaks est l’un des premier lanceur d’alerte que l’on a soutenu et là aussi pour le coup, les informations qu’il a révélé sont aussi d’un intérêt public qui ne fait pas non plus débat, parce qu’elles ont conduit à des réactions des autorités dans plusieurs pays, avec des enquêtes fiscales et des condamnations. Là ça va au-delà de l’optimisation fiscale parce qu’il y a eu aussi des affaires de mœurs.
Alexis :
Oui de viol, d’abus ?
Antoine :
Donc c’est une affaire assez tentaculaire, avec plein de ramifications, donc il y avait des choses qui n’avaient absolument rien à voir. Après sur la question financière soulevée par les footballleaks, je n’ai pas une mémoire suffisament précise de tout ce qu’il y a dedans mais il y a effectivement une porosité entre les questions… Déjà un club c’est une entreprise comme une autre. Les droits d’un joueur c’est un actif immatériel. La majorité des comptes de RTL, au Luxembourg, la tête de groupe est consolidée au Luxembourg et plusieurs entreprises, plusieurs médias… À l’époque je crois qu’il y avait M6, il y avait aussi le club des girondins de Bordeaux, et on voit apparaître les joueurs, donc ce sont des ligne comptables, les joueurs ça vaut « tant ». Donc un club de foot c’est une entreprise et elle accède à la même palette d’outils fiscaux pour échapper à sa fiscalité, après si elle est au-delà de ces pratiques là, c’est que dans le monde du football... Enfin ce que montre les footballleaks c’est que c’est un monde crapuleux. Où il y a quand même des tentatives d’intimidation, de la vraie corruption, ça va bien au-delà de l’optimisation. On est clairement dans la fraude, et pas que fiscale. Il y avait quand même des pratiques criminelles révélées par les footballleaks, et qui ont intéressées un certain nombre de juges en Europe. Pour rajouter une couche sur ce scandale et sur ce lanceur d’alerte Rui Pinto, c’est ce que c’est aussi lui qui est à l’origine des Rwandaleaks dont on a entendu parler plus récemment. Sur l’espèce d’autocrate à la tête du Rwanda et sa fille, qui s’est enrichie par un certains nombre de transactions entre l’état rwandais et la sphère privée, qui a conduit à un enrichissement personnel effroyable. Et cela a été révélé par Rui Pinto. Il y avait vraiment cette porosité entre la fortune privée et la fortune public. A partir d’un certain niveau de fortune, là en l’occurence Rwandaleaks on voit la prise de position dans des entreprises publics. Donc la fortune privée vient aussi à un moment de l’activité économique.
Paul :
Merci (…) Je pense qu’il y a plein de choses qui résonnent. La question que l’on peut se poser en tant qu’artistes et citoyens, c’est « qu’est-ce que l’on ferait dans un cas comme le votre ». C’est à dire, est-ce que l’on aurait l’audace et le courage de prendre le risque, dans un musée, dans une école, dans une institution… De dénoncer quelque chose qui nous semble contraire à l’intérêt général. C’est une question qui nous revient quand on regarde votre expérience et votre parcours. C’est une chose sans doute très difficile à décider. Mais peut-être que les artistes ont aussi ce côté, d’être leur propre critère dans leur pratique et dans leur démarche. C’est-à-dire de se construire eux mêmes, des critères d’appréciation sur la justesse de ce qu’ils font. Là, à un moment, en tant qu’employé d’un cabinet d’audit, vous avez mis en priorité votre propre appréciation étique et politique donc je pense que ça c’est très remarquable et très rare et difficile. Alors peut-être que c’est une illusion du côté de l’art, qu’on est autonomes et indépendants quant à nos critères de jugement. Il faudrait voir en situation identique, comment ça fonctionnerait, mais j’étais très intéressé par les lectures que j’ai fait grâce à cette rencontre, parce que ce n’est pas un domaine que je connais bien et puis par votre témoignage. Je crois que Mathilde a très bien fait d’imaginer cette rencontre parce que, en ayant baptisé ce projet « École Offshore » en parlant de mondialisation, en publiant nos recherches sur un site qui s’appelle Shanghai Paper… Je crois qu’on ne pouvait pas trop éviter la question et dépasser un peu l’ironie, l’humour d’artiste disons de ce nom, pour se frotter à la réalité de cette question au travers de votre expérience, donc un grand merci. Et si on peut se le permettre, bravo d’avoir pris ce risque, d’avoir engagé toutes ces années de lutte, pour l’intérêt commun et pour le notre notamment.